Lune 39, An 1

Je... je t'attendrai, Tuuluuwaq
Fais attention, il y a beaucoup de monde dans les parages

Bonny vit le groupe au loin et il tira la manche de la jeune femme
Dis... Tuuluuwaq... Faudra quand même que tu m'expliques... Je ne sais pas trop comment ça va se passer... Et puis...
Il rougit et se ronge les ongles avec anxiété
... Je ne sais même pas avec qui je... tu sais, quoi?

Naïma avait mal dormi cette nuit là. Le froid. Ses pensées.

Elle avait regardé Eugène se lever et s'éloigner. Et une terrible envie de le suivre l'avait prise. Mais sa timidité l'avait un temps empêché de se lever. Alors elle avait regardé le feu pendant quelques minutes. Les flammes avait toujours eu un effet hypnotique sur elle. Et cela la calmait.

Quand elle eu repris son calme, elle se décida à se lever et à suivre Eugène. Elle ne savait pas du tout ce qu'elle pourrait lui dire, ni comment l'aborder. Tout ce qu'elle savait, c'est qu'elle avait envie d'y aller.
Elle avait peur de le déranger. Mais le léger sourire qu'il lui avait accordé avant de s'éloigner la mettait en confiance.

Jusqu'à maintenant, Eugène ne l'avait approchée que pour lui donner des vivres. Mais sans savoir pourquoi, Naïma avait envie de plus.
Elle voulait sentir son regard sur elle, pouvoir toucher ses mains, sa peau qu'elle devinait douce. Elle voulait le voir lui sourire encore, pouvoir poser sa tête contre son épaules, effleurer ses lèvres, caresser ses muscles. Et peut-être un jour entendre sa voix.

Ces pensées plein la tête, elle voulu se lever. C'est alors qu'elle vit le regard de Yokina scruter l'endroit vers lequel était parti Eugène.

Yokina. Naïma ne savait pas grand chose de cette jeune femme. Elle était tellement belle, avec son profond regard vert. Eugène et elle voyageaient ensemble. Et Naïma ne savait rien des liens et des sentiments qui pouvaient les réunir.

Après tout, le regard d'Eugène n'était sans doute qu'amical. Naïma se rassit, en s'approchant un peu plus près du feu.
Au bout de quelques minutes, elle se coucha, en ramenant ses jambes le plus possible contre son corps. Mais le sommeil ne venait pas. Et le visage d'Eugène, avec ce sourire, tournait toujours dans sa tête.

Elle vit Yokina s'endormir. Naïma se dit que c'était le meilleur moment. Que maintenant, elle ne risquait pas de blesser la jeune femme.
Elle se disait aussi que, même si Eugène la repoussait, au moins, elle saurait.

Naïma commença alors à déplier son corps tout ankylosé. Elle regarda dans la direction où était parti Eugène et se rendi compte que la nuit était complètement tombée etqu'il faisait noir partout autour du camp. Elle n'était même pas sure de pouvoir retrouver Eugène dans cette obscurité. En plus, il avait pu bouger.
Et plus grave, elle était encore moins sure de retrouver le camp si elle s'éloignait trop. Le feu s'éteindrait d'ici peu.

C'était trop tard. Naïma avait laissé passé sa chance de voir Eugène seul à seul. Il ne s'éloignerait pas ainsi tous les soirs.
Naïma pleurait presque de rage devant sa stupidité. Elle en avait tellement envie. Comment avait-elle pu laisser parler sa timidité?

Elle se recoucha en se recroquevillant plus encore. Elle avait froid. Terriblement froid. Le vide qu'elle ressentait au fond de son coeur la faisait greloter encore plus que le froid de la nuit.
Du coin de l'oeil,elle vit Tuuluuwaq et Bonny, endormis pelotonnés dans les bras l'un de l'autre.
Elle aurait donné n'importe quoi pour dormir ainsi avec Eugène.

La nuit avançait. Et Naïma finit par s'endormir.
Le froid la réveilla très tôt. Les autres dormaient encore autour du feu éteint. Quelques cendres s'envolaient sous la légère brise matinale. Naïma resserra autant que possible ses vêtements trop grands autour d'elle et parti se dégourdir les jambes.

Ses pensées se tournaient vers la rencontre imminente des Luudioniens, et l'échange commercial. Elle pensait à Bonny et à son courage. Et aussi à sa propre gène de devoir assister aux ébats prévus.
C'est alors qu'elle vit un corps allongé devant elle. Un corps qu'elle reconnu. Un corps qu'elle désirait.
Elle n'avait pas fait attention en se levant, mais en y repensant, c'est vrai qu'elle n'avait pas vu Eugène avec les autres, ce matin.
Naïma sourit. Finalement, elle allait pouvoir être seule avec lui.

Elle s'approcha doucement de l'homme dont elle rêvait...

Au loin, le rythme monotone d'un ventilateur vrillé battait un tempo mécanique. Une douce musique s'élançait d'un vieux phonogramme posé sur une des étagères du bunker. Son vieux mentor, le visage buriné par l'âge et l'expérience, se tenait juste devant lui. Appliqué, le jeune homme traçait sur des feuilles de papier jaunies une prose appliquée. Atmosphère détendue et calme en milieu clos. Soudain, un craquement inhabituel, puis un souffle court qui n'avait rien à faire là.

C'est alors qu'il se réveilla en sursaut, sortant d'un réflexe aiguisé la lame de son fourreau, pour frôler le cou de Naïma qui, de surprise, tomba vers l'arrière. Les yeux menaçant, encore intoxiqués de sommeil, s'ouvrirent peu à peu, pour observer la jeune femme tremblant de peur à la menace de son couteau. Reprenant ses esprits, et tétanisé par son geste, il retira doucement son arme. La pauvre Naïma avait fait les frais de son impulsivité instinctive, et restait assise, grelottante de peur. Il souffla longuement pour se calmer. Il se souvenait, maintenant : parti du campement pour retrouver son chère silence en ces calmes marais, il avait du s'assoupir dans la profondeur de la nuit. Et sa prudence exacerbée lui avait fait prendre la jeune femme comme une menace, lorsqu'elle le sortit de sa torpeur.

Son coeur se ralentit tandis qu'il mordait sa lèvre inférieure. Naïma, toujours prostrée, avait du avoir une sacré frousse. Il lui adressa une mine génée, et lui tendit la main pour se relever, ce qu'elle fit difficilement. Lorsqu'elle fut debout, encore choquée, il posa sur elle un regard chargé d'excuses, puis caressa doucement sa joue, essayant tant bien que mal de la calmer, ce qu'elle fit au bout de quelques instants. Il passa alors la main dans ses cheveux, sourit timidement, puis l'invita à le suivre jusqu'au bivouac.

Là-bas, tout était encore calme. Il ne vit pas Tuuluuwaq et Bonny, qui devaient surement préparer la future transaction. Quant à Yokina, elle devait encore se reposer. Il espérait sincèrement que la jeune femme féline ne soit pas atteinte de zombinite ; Elle n'avait été en effet que peu loquace ses derniers temps. Il remit un bout de bois sur le feu de camp, et plaça dessus une vieille gamelle remplie d'eau. Naïma, toujours silencieuse, s'assit non loin des flammes, pour se réchauffer.

Il lui fit signe de l'attendre un moment, et se dirigea vers son pactage. Il en sortit un petit miroir, qu'il fixa à un arbre, ainsi qu'un bout de savon et un ancestral rasoir-couteau. Il quitta alors sa veste et se mit torse-nu. Au-dessus de lui, le ciel était maussade, accompagné dans sa médiocrité par une température des plus fraiche. Mais cela ne devait pas l'empécher de se faire un minimum présentable, surtout qu'il devait bientôt rencontrer un autre groupe de nomades. Il se lança donc dans un rasage appliqué, veillant bien à sauvegarder son menton d'un coupe bien trop agressive.

Une fois ses soins terminés, il rangea son matériel, récupéra un petit sachet de café qu'il plongea dans l'eau frémissante. Puis il servit 2 tasses, s'assit à coté de Naïma et lui en tendit une, essayant de se faire pardonner.

Il récupéra alors son carnet, et écrit quelques mots à la jeune femme qui le regardait d'une façon toujours génée :

"Désolé pour tout à l'heure : j'ai souvent des réveils difficiles. J'espère ne pas t'avoir fait trop peur. Qu'allais-tu faire dans le marais, si tôt ? C'est un endroit dangereux pour une jeune femme seule..."

"ça...ça va. Je...je suis désolée de t'avoir réveillé."
Naïma fixait sa tasse de café. Elle n'osait pas regarder Eugène.

Elle avait eu peur quand Eugène avait bondi sur elle et placé son couteau sous sa gorge. Très peur. Pendant plusieurs minutes, elle était restée tétanisée, le coeur battant la chamade.
Mais la douceur de la main d'Eugène sur sa joue et son sourire l'avaient rassurée. Elle avait bien vu dans son regard que lui même ne comprenait pas son geste.

Ils étaient rentrés au camp et Eugène s'était rasé. Naïma n'avait pas pu s'empêcher de regarder ce torse nu et musclé. Son envie de caresser ce corps était devenue de plus en plus grande.

"J'avais juste envie de marcher un peu pour me réveiller."
Le café était fort, mais la chaleur qu'elle ressentait en le buvant était délicieuse. La matinée était fraiche. L'hiver se faisait sentir, et malgré le feu, Naïma avait froid dans sa chemise trop grande.
Elle se rapprocha timidement d'Eugène pour pouvoir sentir sa chaleur.

"J'ai un peu peur de rencontrer les Luudioniens. Je ne sais rien d'eux sauf que leur ville a été attaquée et qu'ils ont du la fuir. Ils sont forts et armés et ils viennent de tuer des gens. Je ne sais pas si on peut leur faire confiance."

Naïma n'attendait pas vraiment de réponse.
Elle se resserra un peu plus contre Eugène et souffla "J'ai froid".