Lune 37, An 1

Naïma s'approcha doucement des deux cadavres. Elle n'en avait jamais vu avant.
Les deux hommes étaient étendus sur le sol, la peau brulée par le soleil. Les oiseaux avaient commencé à leur déchirer la peau du ventre pour pouvoir manger leur entrailles.
Naïma eu un haut-le-coeur devant ce spectacle.

Mais quand Tuuluuwaq lui avait demandé de fouiller les corps, Naïma avait bien compris qu'ici, la survie était à ce prix.
Alors elle lança des pierres pour écarter les oiseaux? Ceux-ci s'envolèrent dans un bruissement d'ailes et dans des cris rauques de colère. Il s continuèrent à tourner dans les airs, au-dessus de leur repas.

Naïma se pencha sur les corps et commença à fouiller les vêtements. Sur l'un des deux cadavres, elle trouva un livret. En l'ouvrant, elle put lire : "manuel de survie". Naïma se dit que cela pouvait toujours être utile, même si, visiblement, ce livret n'avait pas beaucoup aidé son ancien propriétaire.
Il n'y avait rien d'autre. Ni eau, ni nourriture.

Se souvenant du conseil de Tuuluuwaq à propos des vêtements, elle se décida à prendre ceux des morts.
Naïma enfila donc une chemise et un pantalon.
Elle avait beau se dire qu'elle avait besoin de ces habits, elle ne pouvait s'empécher de se dégouter elle-même.

Ayant pris tout ce qu'il y avait à prendre, Naïma murmura un "désolée" aux deux cadavres, puis rejoignit ses compagnons.

Derrière elle, les oiseaux redescendirent aussitôt, pour plonger les becs avides dans les entrailles des deux corps.

Alors que le groupe s'était regroupé non loin des deux cadavres, les nouvelles de la guerre entre Arkham et Luudion crachées par la radio laissa une forte interrogation... et sans même dire un mot, chacun se posait cette question: et maintenant, on fait quoi?

Tuuluuwaq, qui ne semblait pas troublée outre mesure, brisa ce silence pesant:

Guerre être stupidité inventée par Krablounait... quand humain tuer autre humain, alors folie pas être loin.

Tuuluuwaq souvent discuter avec BUG d'Arkham et avec Alice de Luudion... et Tuuluuwaq pas pouvoir dire qui être bon et qui être mauvais. Guerre entre Luudion et Arkham pas l'affaire de Tuuluuwaq...

Naïma aussi avoir vu groupe de guerriers menaçant à 4 lieues suivant marais... groupe encore assez loin pour pas être inquiétant car trop loin, mais Tuuluuwaq proposer tout le monde aller sur marais juste à côté (HRP: Sud Ouest) à prochaine lune... ainsi mieux produire eau, mieux produire médicaments, mieux chasser et mieux se protéger...

Quoi groupe penser?

Puis elle se tourna vers Eugène.

Et maintenant, grâce à Naïma, groupe avec beaucoup matériaux... peut-être compagnon Eugêne maintenant pouvoir montrer quoi savoir faire avec pour faire sac?

La mer... oui... Je crois...

Bonne idée, Tuuluuwaq... l'ouest, même si je ne sais ce que nous y trouverons, ça peut être bien...

La mer...

Il se retourne, sortant de son songe
C'est quoi un caillak?

Naïma était assise à coté de Tuuluuwaq et de Bonnie. Elle les entendait parler de la mer et de kayak. La mer. Elle connaissait. Ou plutôt, elle avait connu.
Ca faisait longtemps. Mais elle se rappelait encore les plages de Nouvelle-Zélande, les vagues, le gout salé de l'eau de mer. Elle avait aimé tout ça. Mais c'était bien loin.


Naïma resserra sa chemise d'homme trop grande contre elle. Quelque chose lui démangea alors le sein. Elle plongea la main dans sa chemise et en ressortit le petit mot de bienvenue d'Eugène.
Elle avait eu droit à un bonjour de la part de tout le monde, sauf de la part d'Eugène. De lui, elle avait eu un mot écrit.
A ce moment là, elle n'avait pas de poche, et elle avait coincé ce petit bout de papier dans son soutien-gorge.

Elle relit alors ce petit mot. L'écriture était belle.
Naïma se demanda pourquoi Eugène ne parlait jamais. Peut-être était-ce physique. Peut-être n'avait-il plus sa langue?

Naïma regarda Eugène, assit un peu plus loin. Elle pensa que si elle l'embrassait, elle saurait tout de suite si il avait encore sa langue ou non.
Aussitôt que cette pensée traversa son esprit, Naïma rougit et enfouit son visage dans ses mains, tout en faisant retomber ses longs cheveux noirs devant.
Protégée par cette cascade, elle continua à regarder Eugène. C'est vrai qu'il lui faisait de l'effet.
Et puis, ça faisait longtemps qu'elle n'avait pas senti les mains chaudes d'un homme contre sa peau, des lèvres douces sur les siennes, la démangeaison d'une barbe au creux de son cou. Ca faisait tellement longtemps qu'elle ne se souvenait même pas à quand remontait la dernière fois.

Et puis, elle vit Yokina, la belle et mystérieuse eurasienne, assise dans le sable, pas loin d'Eugène. Le soleil donnait un reflet doré à sa peau. Et Naïma se dit alors qu'il lui faudrait sans doute attendre encore avant de se retrouver à nouveau dans les bras d'un homme.

Naïma détourna alors son regard d'Eugène et le plongea dans les filets de nuage qui dansaient dans le ciel.

Naïma écouta Tuuluuwaq raconter son histoire. Elle parlait de tribu. Naïma avait eu une famille, bien sur. Mais elle n'avait jamais ressenti une complicité et un attachement comme celui que l'inuit décrivait. Une tribu. Cette idée lui plut.

Quant à éviter les villes en guerre, Naïma était assez d'accord. Mais elle ne savais pas si elle serait capable de vivre en nomade très longtemps. Elle avait toujours vécu dans une ville, avec beaucoup de gens.
Elle décida de suivre ses compagnons pour l'instant, et de voir où cela la mènerai. Elle aimais bien ses compagnons, même si elle connaissait à peine Eugène, Yokina et Onotime. Ils étaient si silencieux, tous les trois. Mais elle se sentait bien avec eux.

Naïma en était là dans ses pensées, quand Tuuluuwaq commença à crier. Naïma sourit. Ce n'était pas la première fois que Tuuluuwaq s'emportait. Mais comme la dernière fois, cela était plus un élan du coeur.
Naïma n'avait pas compris grand chose au discourt en inuit de Tuuluuwaq. A par deux mots : Tuuluuwaq, et Amarok.
Elle se souvenait que Amarok désignait le loup blanc. Elle avait appris ça, il y avait longtemps.
Mais elle ne comprenait pas ce que Tuuluuwaq avait pu dire avec ces deux mots ensemble.

Puis Tuuluuwaq se mit à chanter. Un chant étrange, mais très agréable. Naïma se laissa bercer par cette mélopée qui, bizarrement, la faisait penser à son pays.

Yokina battit des paupières, d'un air étonné, en observant et en écoutant Tuuluuwaq, avec un mélange de fascination curieuse et d'incompréhension effrayée.

Dans tout ce fratras de mots incompréhensibles désignant des choses tout aussi abstraites, la jeune femme avait cependant compris quelque chose : Tuuluuwaq avait mangé la "chasse" d'Eugène, elle avait parlé de tribu et d'unité.
Ces mots là, Yo les comprenait, ils résonnaient en elle comme des échos inscrits dans sa chair.

Alors, fixant Tuuluuwaq, la gratifiant de toute son attention, elle s'imprégna de ses paroles et de son chant étrange.
Elle laissa le silence saluer sa prestation avant d'élever sa voix en réponse, calme et profonde, avec un brin d'hésitation.

Je n'ai pas de mémoire. Je n'ai pas la mémoire de ce que je suis avant ma rencontre avec Eugène.

Elle déglutit lentement, fixant le centre de leur campement.

Eugène est ma seule tribu, mon clan. Je chasse pour mon clan, voilà ce que je suis.
Il y a aussi Anund... "Le Loup"... J'ignore qui il est, mais il parle ma langue et il me comprend... Le Loup me cherche... et je cherche le Loup. Mais où?

Elle secoua la tête, troublée de se dévoiler ainsi, même le peu qu'elle savait.

Un clan, c'est comme une tribu. C'est un.
Pourtant, mon clan m'a abandonnée une fois.

Sa voix se brisa sur ces mots, elle continua a fixer le centre du campement, refusant de poser les yeux sur quiconque.
Ces mots semblaient extrêmement difficiles à prononcer, comme s'il s'agissait là du centre de son univers, d'un repère détruit et laissé en friche.

Je me tais, parce que je ne sais pas parler à un clan qui m'abandonne. Pourtant, vous m'avez ensuite attendue, et je suis à nouveau des vôtres.

Cette fois, son regard émeraude effleura chacun d'entre eux, pour se poser finalement sur Eugène.

Quelle est ma place?

Ces mots là furent presque murmurés, comme si elle se les adressait à elle-même, pensant tout haut ses doutes.
Puis elle secoua vivement la tête, les joues roses, gênée.

Il faut éviter la violence, il faut éviter les villes.
Je cherche le Loup... je ne veux plus être enfermée dans une ville, plus jamais.

Elle s'interrompit dans ce flot spontané de paroles et d'idées désordonnées.

Bonny va-t-il couper du bois?

Réveil difficile ce matin-là... Les yeux gonflés, la bouche pateuse, l'esprit en manque, Eugène avait difficilement émergé de cette nuit fraiche, portant passé juste à coté de Yokina. Il s'enroula dans sa veste, et s'approcha, discrètement, du centre du campement.

Les autres étaient en train de se restaurer gentiment. Il s'assit avec eux la tête baissée, laissant à une tasse de café extrèmement noir (Bonny sait faire parfois des merveille avec les plantes du cru) la périlleuse mission de le faire émerger.

A peine levé, et la discussion partait de bon train. Tuuluuwaq, face à lui, s'alimentait de fines tranches de viande "d'origine indéterminée" qu'il avait collectées la veille. Crues... Il fut touché de cet acte de reconnaissance, bien que ceci le dégoutta profondément, rendant le café extrèmement dur à passer.

Yokina, à coté de lui, semblait toujours un peu perdue et circonspecte. Naïma, quant à elle, emmitouflée dans une somme de vêtements disparatres, arborait une fragilité candide assez touchante.

Eugène n'était pas vraiment concentré quand Tuu se lança dans un monologue vif et intense. Néanmoins, la passion de la jeune femme mobilisa vite toute son attention. Elle y expliquait le concept de clan, cher à Yokina. C'est vrai que leur petite caravane commençait à ressembler à quelque chose de satble, bien que peu résistante physiquement. Sauvé par leur autosuffisance relative, les 6 semblait néanmoins diverger sur leur but commun. Tout du moins n'en avaient-ils pas vraiment parlé. Le but de leur ralliement était le voayage vers les communautés du Sud, dont Luudion. Celles-ci s'étant maintenant embrasées dans un conflit territorial, ils devaient changer leur plan. Certains ne se voyaient que nomades, d'autres, dont lui, n'était pas contre l'idée de vie en communauté, pour autant que celle-ci lui convienne (et qu'il puisse y trouver des cigarettes).

Lorsque Yokina s'exprima, il ferma un peu son visage. Elle lui ejn voulait toujours, d'être parti en la laissant là. c'est vrai qu'ils n'avaient pas vraiment pu en discuter, de cette situation, et le malaise se faisait bien évidemment toujours ressentir. mais il ne savait comment faire. Lui si solitaire s'était bien sur attaché à elle. Pourtant, on lui avait appris que l'attachement est la première entrave à la liberté. Il essaierait d'éclaircir la situation, plus tard, par écrit. Pour l'instant, il lui jetait un regard de regrets mélés à de la volonté, en lui espérant que cela lui suffise.

La conversation se poursuivit d'une manière qu'il le stupéfia. En continuant sur le concept d'unité, l'inuit évoqua l'idée d'un chef de clan. Quand il entendit son nom accolé à Issumartak, il en cracha presque son café de surprise

Tuu le proposait en tant que meneur... Lui, incapable de s'exprimer hormis que par la plume, formé quasi-exclusivement à la prudence et aux règles de survie solitaire, se voyait proposer par la jeune femme au moins pour un moment l'avenir du groupe.

"Pouvoir tout quitter à n'importe quel moment, en quelques secondes" ; Comment pourrait-il accepter une telle tâche alors que cela allait contre son éducation ? Son regard se brouilla, une cigarette s'alluma machinalement, et, alors que les autres l'observaient (hormis Bonny toujours plongé dans les bras de Morphée), la plume se posa sur la fine feuille de papier.

"Très touché par cette proposition, mais je ne sais pas si je suis capable. Je sais comment survivre à 1, mais à 6, opération plus délicate. Nous devons tous réfléchir un peu, sur notre avenir commun, à court et à long terme, voir si nos destins peuvent se lier encore pour un moment. En attendant, veuillez m'excuser..."

Il arracha la feuille qu'il confia à Naïma pour qu'elle la lise. Puis, il se leva, et sortit son couteau pour une scéance d'entrainement au lancer. La région éatnt devenue possiblement dangereuse, autant reprendre quelques automatismes.

Tuuluuwaq souria... les trésors les plus fabuleux sont les mieux enfouis et Eugène e déroge pas à cette sagesse populaire... il a juste besoin de temps... elle regarda alors chacun d'un regard voulant dire: "Alors? On fait quoi?"

Naïma lut le mot d'Eugène à haute voix. Puis elle le regarda partir, son couteau à la main.
Elle-même ne savait que penser de désigner Eugène comme chef. Bien sur, il avait un fort instinct de survie, et il en faisait profiter les autres, comme avec cette viande dont elle voulait oublier l'origine.
Mais en même temps, c'était un grand solitaire. Et au fond, elle n'avait aucune idée de ses projets pour l'avenir.
Elle savait que Yokina, Tuuluuwaq et Bonny se voyaient plus comme des nomades. Mais Eugène? Et Onotime? Et elle-même?
Elle ne savait même pas vraiment comment elle voyait son propre avenir.

Naïma attrapa une tranche de viande et la planta au bout d'un bâton, qu'elle suspendit au-dessus du maigre feu. Ma foi, quand on parvenait à oublier l'origine de cette viande, l'estomac était bien content de l'accueillir.